Archive for janvier, 2007

bande passante: enjeux et gestion de la pénurie

dimanche, janvier 28th, 2007

Après l’explosion de la bulle internet, la bande passante a été une des valeurs qui a le plus perdu. Finies les autoroutes de l’information; le haut débit pour tous (réseaux & usages), ça sera pour plus tard. Aucun intérêt pour les liaisons Gigabits envisagées un temps, si ce n’est dans une optique de prouesse technologique ou de recherche scientifique.

Pourtant, depuis plusieurs mois, on voit déferler des usages réellement haut débit, qu’embrassent des millions d’internautes: explosion de la vidéo sur le web (YouTube ou Dailymotion), démarrage commercial pour la VoD, banalisation de la VoIP, et gonflement continu des échanges P2P (BitTorrent notamment). Tout ceci entraîne une augmentation et une densification de l’usage de bande passante par utilisateur. Augmentation car les débits réellement consommés lors de ces nouveaux usages sont plus élevés, et densification car les internautes (ou plutôt leurs machines) restent connectés de plus en plus longtemps.

Consommation de bande passante accrue: adaptation des opérateurs

Dès lors que le trafic mondial augmente, les capacités réseaux de tous les opérateurs sont sollicitées de façon croissante. La consommation de données de chaque internaute se rapproche de la bande passante théorique qui lui est accordée. Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à capacités réseaux constantes, on tend donc vers une situation de congestion, vers une pénurie de bande passante.

Certes, les capacités réseaux continuent d’être améliorées, grâce à de nouvelles technologies (merci l’ADSL), ou grâce aux investissements des opérateurs de réseaux (poses de nouvelles fibres optiques sur et entre les différents backbones). Pourtant, les technologies comme l’ADSL ne font qu’améliorer la situation des consommateurs finaux, ce qui au passage dégrade la situation des opérateurs (si chaque consommateur a un tuyau plus gros, il faut donc que les opérateurs accroissent leurs capacités en conséquence). On voit ainsi que la seule situation pour éviter une congestion des réseaux et une pénurie de bande passante est l’augmentation des capacités réseaux par les opérateurs

…ou la limitation de la consommation des utilisateurs finaux. En effet, poser de nouvelles fibres optiques, tirer de nouveaux câbles sous-marins, tout cela a un coût élevé. Avant d’en arriver à de tels investissements, n’importe quel opérateur cherchera en premier lieu à optimiser le trafic sur son réseau, de façon à ce que la bande passante réellement consommée ne l’oblige pas à de nouveaux investissements.

Contrôler et limiter le trafic avant d’investir dans de nouveaux réseaux

Cas pratique: entre le milieu et la fin des années 1990, la société Cybercâble, filiale de la Lyonnaise des eaux (devenue Noos entre temps, fusionné avec Numéricable il y a peu) a posé ce qu’elle considérait comme « beaucoup » de câbles. Une fois les travaux finis, l’entreprise ouvre une des premières offres « haut débit illimité » (entre 1997 et 1998). Cependant, victime de son succès, Cybercâble doit faire face à l’engorgement de son réseau, les utilisateurs utilisent leur connexion et leurs programmes consommateurs de bande passante en continu. Il est impossible de poser de nouveaux câbles, cela coûterait trop cher et prendrait trop de temps. Dans un premier temps, l’entreprise décide de diviser la bande passante (par deux, par 4…). Colère et manifestations (je me souviens d’une amusante manifestation devant les locaux en plein centre de Strasbourg) d’utilisateurs obligent la lyonnaise à trouver une autre solution.

Et quelle solution? Les quotas de bande passante! Votre bande passante reste conforme à la promesse (ex: 512kbits par seconde), mais vous êtes limités dans la consommation totale mensuelle (ex: 3Go de données envoyées et/ou reçues). Attention aux étourdis, qui, ne surveillant pas leur consommation, se sont retrouvés avec des factures allant jusqu’à plusieurs milliers de francs. En effet, une fois le quota atteint, soit l’opérateur coupe… soit il compte le dépassement et vous envoie la facture.

Souvenirs d’une époque qu’on aimerait révolue dans cet article des archives de transfert.net (mai 2001)… mais dont on voit régulièrement des résurgences. Il suffit de regarder les offres de certains opérateurs, comme Noos Numéricable; qui a rétablit ses chers quotas en juin 2005 (voir l’article de 01net). Pour le moment, les quotas de bande passante (ascendante et/ou descendante) ne sont pas très courants en France, à croire que l’épisode de Cybercâble a refroidi bien des esprits. Cependant, dans d’autres pays (USA, Canada), ou dans d’autres contextes, les quotas de bande passante sont considérés très sérieusement.

Autre solution pour contrôler et limiter la consommation des utilisateurs: arrêter de considérer le net comme un réseau neutre, c’est-à-dire privilégier certains acteurs au détriment d’autres. Actuellement, les opérateurs laissent passer (relativement) librement et au même titre les paquets de données en provenance de mails d’utilisateurs, d’échanges P2P, ou d’éditeurs de contenus reconnus. Cependant, rien le les empêcheraient de privilégier les échanges de données offrant le meilleur rapport gain/coût. Une idée qui a déjà fait du chemin aux USA, comme le note jmplanche:

Sous la pression des opérateurs de télécoms américains, la chambre des représentants a voté à la majorité, un texte qui permettra (entre autre et au conditionnel) de facturer un droit de passage sur leurs réseaux, un peu à la tête du client :

En fonction du débit consommé (un peu trop de DailyMotion … paf les doigts)
En fonction des services utilisés (un peu trop de Google … pif la note !)

Nouveaux défis pour les éditeurs de services et de contenus

Dans un tel contexte, l’opérateur de réseaux a l’ascendant sur les éditeurs de contenus. Ces éditeurs de contenus, pour toucher les utilisateurs finaux, devront trouver des accords avec les opérateurs.

A moins de devenir eux-mêmes opérateurs de réseaux, comme… Google. Depuis quelques années, Google achète toutes les capacités réseaux excédentaires disponibles (fibre noire), sans pour autant acheter les réseaux eux-mêmes, car posséder tant de capacité réseaux leur ferait courir un risque de procès! Bon nombre d’analystes se demandent à quoi peuvent (ou pourront) servir toutes ces capacités réseaux, de même que les centres serveurs que Google construit, surtout aux Etats-Unis (le dernier à avoir été annoncé sera implanté en Caroline du Nord). Pour Robert Cringley, l’explication est limpide: Google veut devenir VOTRE internet. Derrière ce titre facile et provocateur se cache une analyse très pertinente, qui permettrait à un éditeur de services reconnu, disposant d’une base d’utilisateurs immense et fidèle, de devenir opérateur de réseaux et point de contact principal entre les consommateurs et le net:

It is becoming very obvious what will happen over the next two to three years. More and more of us will be downloading movies and television shows over the net and with that our usage patterns will change. Instead of using 1-3 gigabytes per month, as most broadband Internet users have in recent years, we’ll go to 1-3 gigabytes per DAY — a 30X increase that will place a huge backbone burden on ISPs. Those ISPs will be faced with the option of increasing their backbone connections by 30X, which would kill all profits, OR they could accept a peering arrangement with the local Google data center.

Au passage, cela cadre très bien avec la mission de Google: « Google a pour mission d’organiser à l’échelle mondiale les informations dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous. »

Se rapprocher de la plus précieuse des ressources: les utilisateurs finaux

Un tel plan peut paraître tordu, je le trouve au contraire particulièrement bien vu. Les risques de congestion des réseaux vont croître dans un futur assez proche (à moins que les utilisateurs diminuent drastiquement leurs usages haut débit… rien que de l’écrire, ça me fait sourire). Dès lors, la pression sur les coûts des opérateurs sera critique. Pour maintenir leurs profits, les seules solutions à court terme seront de mettre en place de quotas ou des accords de distribution privilégiés, ce qui placera les éditeurs de services dans une position difficile, car ils ne seront plus en position de faire peser leurs services dans la négociation pour l’accès aux consommateurs.

Pour les éditeurs de services qui ont les moyens, négocier des accords de distribution deviendra une partie intégrante du modèle économique. Les plus gros évolueront comme Google, afin de se rapprocher des consommateurs, en intégrant la distribution à leurs activités; on assistera peut-être à une réelle fusion des contenus et des contenants, si chère à J6M lors de son passage chez Vivendi. Les petits éditeurs, les indépendants, les internautes, quant à eux, risquent d’être les grands perdants de cette « évolution »: trop petits, et trop atomisés, dans un nouvel espace qui imitera malheureusement les autres secteurs économiques plus classiques. On reverra peut-être fleurir les messages « Désolé, cet espace a dépassé son quota de trafic », pour cause de bande passante trop chère…

Alternative nécessaire: continuer à développer des réseaux

Espérons qu’avant d’en arriver là, des investissements conséquents en capacités réseaux soient réalisés, par des acteurs économiques privés et/ou publiques! Certains opérateurs, qui se sont spécialisés dans le négoce de bande passante, ainsi que ceux qui n’ont pas arrêté de poser des câbles avec l’explosion de la bulle auront eu le nez creux. En continuant d’accroître les capacités réseaux, on évitera peut-être le retour des quotas et l’apparition d’autres joyeusetés plus communes dans d’autres secteurs, comme la téléphonie mobile. Cela nous évitera peut-être la situation décrite dans EPIC 2014 (ou la mise à jour 2015), une animation prospective sur la concentration des acteurs du net et du web, réalisée en novembre 2004, qui se fait depuis allègrement dépasser par la réalité.

génération(s) internet – Autrans 2007

dimanche, janvier 21st, 2007

Autrans 2007 - Les générations internetLors de la conférence « Comment les entreprises s’organisent pour tirer parti du mode de vie et de travail des générations Internet? » aux rencontres d’Autrans, la discussion s’est faite autour des échanges entre les différentes générations, et bien sûr, comment les « jeunes » s’intègrent en entreprise.

Les jeunes à la rescousse des vieux?

Ce qui est curieux, c’est qu’il y a une volonté plus ou moins consciente de regrouper les personnes dans des catégories pour les opposer: nouveaux contre anciens, technophiles contre technophobes, ou, dans le cas présent, jeunes contre vieux. On voit pourtant facilement qu’il est réducteur de mettre en opposition des groupes d’âge différents, surtout sur les technologies du web. En effet, bien que les jeunes soient majoritairement utilisateurs du net, ils ne sont pas pour autant experts des usages du net en entreprise. Ils sont plus rapides dans l’adoption de nouveaux usages, mais doivent également s’intégrer aux organisations existantes.

Ainsi, intéressons nous aux conséquences qu’a le net sur les activités des entreprises et des acteurs économiques.

Quel impact réel sur les entreprises?

Le net développe de nouveaux usages et de nouveaux comportements. C’est indéniable: dématérialisation de nombreux services, interactions interpersonnelles accélérées (IM, e-mail, espaces de travail collaboratifs), et changement profond du rapport à l’information.

Pour autant, selon les entreprises, le secteur d’activité, et bien sûr les personnes qui les animent, le rapport au net et l’intégration (nécessaire?) de ces technologies n’a pas les mêmes impacts. De façon générale, il s’agit de voir qu’il y a rarement créations de nouveaux métiers, mais principalement intégration de nouvelles compétences et de nouvelles possibilités aux métiers et emplois déjà existants. En effet, les nouveaux métiers se développent dans des périmètres et des périodes très réduits, le temps que les transitions se fassent, et que les différentes personnes aient assimilé les nouvelles compétences.

Réussir l’accompagnement au changement

Le principal défi à relever est donc celui de l’accompagnement au changement. Faire en sorte que les différents acteurs de l’entreprise intègrent la nouvelle technologie du moment à leurs activités et adaptent leurs méthodes de travail en conséquence. Il s’agit aujourd’hui d’intégrer les apports du net, de la même façon que la téléphonie ou le fax ont du être assimilés dans les décennies précédentes (le fax a d’ailleurs été une des innovations les plus disruptives, car pour la première fois, on pouvait quasi-instantanément communiquer de l’écrit à distance).

Et la meilleure façon de réussir un tel changement est de faire communiquer tous les types de personnes au sein de l’entreprise: les jeunes et les vieux, les nouveaux et les anciens, etc. L’informatique et le net ne sont donc qu’une nouvelle composante à intégrer, et c’est un projet de formation et d’accompagnement qui débouche sur le succès. Pour cela, la dynamique doit être embrassée par tous les acteurs de l’entreprise: jeunes, vieux, dirigeants, techniciens, etc.

Formation et échange

Les jeunes ne sont donc ni sauveurs messianiques ni éléments perturbateurs en puissance, mais simplement des humains en action. Leurs apports doivent être intégrés par les entreprises, de la même façon qu’ils doivent intégrer ce que l’entreprise et les autres personnes leur apportent. L’échange, ainsi que la formation, sont donc les piliers de l’intégration des innovations, pour que les entreprises puissent évoluer de façon progressive, en limitant les ruptures.

Ainsi, sans sombrer dans l’adoration technophile béate, à chaque personne d’intégrer ces nouveaux usages au quotidien, en s’adaptant à la structure dans laquelle on évolue. Par symétrie, il faut que les entreprises acceptent de jouer le jeu, car encore beaucoup d’entreprises bloquent la plupart des services web à leurs employés. Pourtant, si ceux-ci ont un poste informatique comme outil de travail principal, restreindre l’usage des services web ne mène à rien, si ce n’est frustrer les collaborateurs et pénaliser les effets bénéfiques du travail en réseau, que ce soit via IM, e-mail, espaces de travail collaboratifs, etc. Il faut savoir jouer avec plutôt que de lutter contre. Avec les apports de tous.

Ressources:

ère numérique: migrant ou natif?

jeudi, janvier 11th, 2007

Invité aux rencontres de l’Internet à Autrans cette année, on me demande de participer à une table ronde: entreprises et générations internet. L’idée est d’explorer les zones d’échanges et de confrontations qui existent entre le monde du travail, les TIC, et les générations internet, thème de l’édition 2007 des rencontres.

Mais que recouvre le terme générations internet? Est-on en train de parler de l’opposition entre digital native et digital migrant, pour reprendre les termes anglais? Oui, mais pas seulement: le concept de natif de l’ère numérique fait surtout référence aux technologies électroniques et numériques, et donc aux réseaux et à l’internet par extension, mais pas de façon spécifique. Ainsi, en étant né en 1979, je suis à la limite un digital native, et j’ai effectivement découvert l’informatique très tôt. Néanmoins, je n’ai découvert l’internet que vers mes 18 ans, et n’ai donc pas acquis les comportements afférents à des activités en ligne (sociales, culturelles, éducatives, etc.) durant mon adolescence.

D’ailleurs, quand j’étais adolescent, les activités étaient proches de celles des générations précédentes, fortement ancrées dans le monde physique, et intimement liées aux cercles de proximité classiques: école, voisins, famille. Aujourd’hui, les amitiés et échanges adolescents se font sur Messenger, MySpace, ou Dailymotion, via téléphone mobile, baladeurs MP3, e-mail, et entre adolescents plus ou moins éloignés. En une dizaine d’années, les changements culturels ont été très importants, le premier d’entre eux étant que les adolescents des années 2000 ont un rapport à la technologie extrêmement positif, alors que dans les décennies précédentes, parler d’informatique était le meilleur moyen de se voir reléguer au fond des cours de récréation.

Ainsi, avant de voir les impacts de ces premiers natifs du web dans les entreprises, il faut encore attendre 5/6 ans. D’ici là, les adolescents qui regardaient la première Star Academy en 2001 auront dépassé la vingtaine et attaqueront le marché du travail. Ces adolescents français qui ont profité de l’explosion du haut débit, des forfaits mobiles accessibles, et du MP3. Et d’ici 5 ans, les entreprises auront encore évolué et continué à intégrer les TIC. Pour celles qui le peuvent.

Je suis donc impatient et curieux de voir comment va se passer l’intégration de ces générations internet au monde de l’entreprise, qui commencera d’ici ~5 ans. En attendant, je vous conseille de lire cet interview de danah boyd et Henri Jenkins: « Discussion: MySpace and Deleting Online Predators Act (DOPA)« , dont les passages les plus intéressants ont été retranscrits en Français par Stephanie Booth.

Pour ma part, je ne sais pas si je suis dans le wagon de queue des migrants ou dans le wagon de tête des natifs de l’ère numérique. Un pied dans les deux, certainement. Les discussions à Autrans promettent d’être intéressantes. 🙂